Compte rendu du Dialogue sur le racisme envers les Noirs dans le système de financement de la recherche en santé
AVERTISSEMENT : Le présent document reflète les réflexions et les expériences des participants externes au dialogue sur le racisme envers les Noirs et la santé des communautés noires dans le contexte du système de financement de la recherche en santé. Les IRSC remercient tous les participants pour leurs idées et leurs commentaires, dont ils tiendront bien compte dans la mise au point de leur plan d’action contre le racisme.
Aperçu
Les IRSC ont tenu une rencontre avec des chercheurs noirs au Canada pour engager un dialogue sur le racisme envers les Noirs et la santé des communautés noires dans le contexte du système de financement de la recherche en santé. Ce dialogue a eu lieu par voie virtuelle sur une période de deux demi-journées en mars 2024.
L’objectif était de réunir des chercheurs noirs dans le domaine de la santé au Canada pour discuter des iniquités structurelles dans le système de financement de la recherche en santé des IRSC. Tout au long de la rencontre, de nombreux participants ont fait état du racisme envers les Noirs et des facteurs connexes qui rendent le système de financement inéquitable et ont insisté sur le besoin urgent d’agir pour améliorer les résultats de la recherche sur la santé des communautés noires. Les IRSC analyseront à la lumière du dialogue les façons dont ils peuvent efficacement lutter contre le racisme envers les Noirs et appuyer un système de financement équitable par l’intermédiaire de leurs politiques, processus et pratiques.
Le dialogue a été préparé selon un modèle de conception conjointe par les IRSC et des chercheurs en santé sur une période de deux mois. Un tel modèle suit une approche participative dans laquelle les participants externes sont traités comme des collaborateurs et décideurs jouissant d’un égal respect dans le processus de mobilisation et constitue en ce sens une forme importante de partage du pouvoir. Des collaborateurs externes ont été invités à définir conjointement la vision, les objectifs et le programme avec les IRSC. Les participants au dialogue ont été choisis au cours du processus de conception conjointe. Ces participants sont des chercheurs et des partenaires communautaires noirs œuvrant dans différentes disciplines et ayant déjà collaboré avec les IRSC. Les observateurs comprenaient des membres du personnel des équipes fonctionnelles des IRSC qui participeront à la mise en œuvre du plan d’action contre le racisme.
Le dialogue a été animé par deux coresponsables, soit l’un des IRSC et l’autre de l’extérieur de l’organisme. La structure de la réunion suivait un ordre du jour que les participants et les animateurs ont peaufiné au début du dialogue.
Après une exploration initiale, on a convenu d’inscrire à l’ordre du jour les sujets de discussion suivants :
- Comment les IRSC peuvent-ils mieux appuyer et promouvoir l’excellence et l’expertise des chercheurs noirs dans le domaine de la santé?
- Comment les IRSC peuvent-ils s’attaquer au racisme envers les Noirs dans le cadre de leurs politiques en repensant certaines structures comme l’évaluation par les pairs?
- De quoi a-t-on besoin pour progresser sur la question de la santé des communautés noires (p. ex. déclarer le racisme envers les Noirs comme étant un déterminant de la santé, appuyer une structure officielle de recherche sur la santé des communautés noires)?
- À quelles activités précises les ministères et organismes fédéraux et provinciaux peuvent-ils collaborer pour faire avancer ce travail tout en explorant ses liens avec d’autres populations?
Résumé des commentaires formulés
Les discussions ont porté sur les obstacles individuels et structurels qui sont à l’origine des iniquités dans le système de financement des IRSC, ainsi que sur les stratégies visant à créer un système de financement équitable pour les chercheurs noirs et le milieu de la recherche en santé. On a fait part de plusieurs points de vue et expériences dans le cadre du dialogue, notamment :
- Le racisme envers les Noirs est un déterminant structurel de la santé et entraîne des répercussions sur la santé des communautés noires et les résultats sur la santé des populations.
- La persistance du racisme envers les Noirs dans l’écosystème de la recherche en santé limite les parcours de carrière accessibles à certains chercheurs noirs.
- Le racisme envers les Noirs s’observe dans les activités et la culture organisationnelle des IRSC et se manifeste par la non-prise en compte des perspectives et des expériences des chercheurs noirs.
- Le racisme envers les Noirs se répercute sur les décisions de financement et entrave le parcours de carrière des chercheurs noirs.
- Les chercheurs noirs réclament depuis longtemps une réforme des politiques et processus de financement qui sont défavorables à leur égard, mais les IRSC interviennent rarement en ce sens.
- Les IRSC devraient reconnaître et assumer la responsabilité du tort qu’ils ont causé aux chercheurs noirs et aux communautés noires avant de s’employer à bâtir des relations de confiance et des partenariats de recherche avec eux.
- Les IRSC devraient tirer parti de l’expertise et des connaissances des chercheurs noirs dans plusieurs disciplines en assurant des consultations continues entre ceux-ci et les principaux décisionnaires.
- Les IRSC devraient soutenir les stagiaires noirs en reconnaissant leur excellence et leurs forces et en appuyant le perfectionnement de leurs compétences tout au long de la formation en recherche universitaire.
- Les IRSC devraient promouvoir un soutien financier soutenu pour la recherche sur les déterminants des résultats de santé des communautés noires.
- Les IRSC devraient appuyer les initiatives de mentorat et de formation pour la prochaine génération de stagiaires noirs afin de s’assurer qu’ils demeurent dans la filière de la recherche universitaire et qu’ils sont prêts à mener des activités professionnelles en recherche.
- Les IRSC devraient effectuer des analyses approfondies pour déterminer comment des politiques, des processus ou encore des aspects particuliers de leur culture organisationnelle peuvent désavantager les chercheurs noirs, puis concevoir des interventions en conséquence et mobiliser des chercheurs, membres de communautés et patients partenaires noirs.
Les thèmes du présent compte rendu sont organisés en trois grandes catégories en fonction de ce qui a été entendu lors du dialogue.
Réflexions des participants au sujet des iniquités qui influent sur le système de financement des IRSC
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Culture organisationnelle des IRSC
Certains participants ont fait observer que le racisme envers les Noirs est présent dans la culture organisationnelle des IRSC. Ils ont expliqué avoir été victimes de préjugés et de discrimination dans bon nombre de leurs interactions avec l’organisme, et ce, malgré le fait que les IRSC se perçoivent comme étant une organisation équitable et neutre.
Ils ont mentionné des exemples de sentiments anti-noirs exprimés de manière implicite et explicite à leur endroit par leurs pairs universitaires au sein de comités consultatifs ou de comités d’évaluation par les pairs. Ces propos n’avaient pas été relevés ni n’avaient entraîné d’interventions subséquentes. Par exemple, lorsque des évaluateurs pairs noirs ont attiré l’attention sur des demandes dont les thèmes ciblaient les iniquités en santé de communautés noires, leurs pairs ont minimisé l’importance de l’enjeu, car il ne méritait pas qu’on s’y attarde dans le contexte canadien, ou ont remis en question de façon hostile la validité des données probantes existantes. Ces participants ont fait savoir que des chercheurs noirs avaient présenté des plaintes écrites aux IRSC sur leurs expériences de racisme au sein de comités consultatifs ou de comités d’évaluation par les pairs, et que l’organisme n’avait offert en retour aucune mesure de recours ou d’excuse officielle. Les participants estiment que ce genre de situations révèle que la culture organisationnelle des IRSC ne reconnaît pas l’existence de préjugés et de discrimination à l’égard des Noirs dans ses processus et n’a pas pour priorité de préconiser des mesures robustes pour remédier au racisme envers les Noirs.
Certains participants ont également souligné que la culture organisationnelle des IRSC façonne les cadres conceptuels qui guident les efforts que consacre l’organisme à la lutte contre le racisme. Ils ont souligné que les cadres d’équité, de diversité, d’inclusion et de lutte contre le racisme n’en font pas suffisamment pour lutter contre le racisme envers les Noirs dans le contexte des politiques des IRSC.
Des participants ont mentionné d’autres exemples qui révèlent un manque d’engagement à lutter de façon concrète contre le racisme envers les Noirs :
- Les IRSC n’ont pas encore examiné en profondeur ni reconnu comment leur culture, leurs politiques et leurs processus organisationnels peuvent favoriser des possibilités et des résultats inéquitables sur le plan structurel.
- Il y a une collecte insuffisante de données démographiques désagrégées pour cerner les disparités raciales et ethniques dans le système de financement des IRSC.
- La haute direction des IRSC n’a pas gagné la confiance des chercheurs noirs et des organisations qui représentent les communautés noires dans le domaine de la santé.
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Processus d’évaluation par les pairs
Certains participants ont laissé entendre que les obstacles auxquels ils se heurtent dans l’évaluation par les pairs des demandes de subventions et de bourses devraient être pris en compte dans le contexte d’un processus d’évaluation par les pairs globalement inéquitable sur le plan structurel. Ces iniquités contribuent à une participation restreinte de pairs évaluateurs noirs et au faible taux d’obtention de financement des candidats noirs à la suite de demandes de subventions.
Quelques participants ont indiqué que leur apport avisé n’est ni recherché ni valorisé au sein des comités d’évaluation par les pairs par rapport à celles de leurs pairs non-Noirs. Par exemple, un participant a indiqué que lui-même et d’autres chercheurs noirs sont souvent négligés et ne sont pas invités à participer à des comités d’évaluation par les pairs pour des questions qui relèvent de leur domaine de recherche. Un autre participant a indiqué que son expertise n’est pas aussi respectée ou prise au sérieux par ses pairs, en raison des préjugés anti-noirs, lorsqu’il participe à des comités d’évaluation par les pairs. En outre, d’autres participants se sont dits préoccupés par le fait que les IRSC ont mis en œuvre des critères relatifs à l’équité, à la diversité et à l’inclusion (EDI) pour les demandes de subventions, mais que les pairs évaluateurs ne connaissent pas suffisamment ces critères pour les évaluer. Ainsi, certains pairs évaluateurs traitent l’évaluation des critères relatifs à l’EDI comme un exercice superficiel de case à cocher, au lieu d’acquérir des connaissances suffisantes à ce sujet et de les mettre en pratique dans leurs évaluations. Selon ces participants, ces exemples révèlent que le processus d’évaluation par les pairs des IRSC est structuré de manière à empêcher la pleine participation des chercheurs noirs.
Ces participants ont donné d’autres exemples d’obstacles auxquels ils se butent dans le processus d’évaluation par les pairs, notamment :
- Les pairs évaluateurs rejettent les idées relatives au racisme et à la santé ainsi qu’aux iniquités en santé fondées sur la race dans le cadre des évaluations.
- Les présidents des comités d’évaluation par les pairs n’interviennent pas lorsque des sentiments racistes sont exprimés dans le cadre des travaux des comités.
- On ne parvient pas à assurer la rétention des pairs évaluateurs noirs au sein des comités d’évaluation par les pairs.
- Les pairs évaluateurs refusent de réfléchir à la façon dont leurs propres préjugés peuvent influer sur leur participation au processus d’évaluation par les pairs.
- Il n’existe pas de moyens de régler les plaintes de racisme dans le cadre du processus d’évaluation par les pairs.
- On met en doute l’impartialité du processus d’évaluation par les pairs, que l’on décrit comme étant opaque et hermétique en ce qui a trait à la communication de l’information publique à chaque étape du processus décisionnel d’évaluation par les pairs; à la sélection des pairs évaluateurs pour siéger aux comités; aux discussions du comité d’évaluation par les pairs; aux commentaires des pairs évaluateurs sur les demandes de subventions.
- Les critères d’évaluation des demandes de subventions laissent place à une évaluation subjective de telles demandes, ce qui amène les pairs évaluateurs à accorder une note favorable à celles qui correspondent davantage à leurs préférences.
- Les domaines d’expertise ne semblent pas correspondre aux besoins (par exemple des pairs évaluateurs des demandes de subventions de recherche sur la santé des populations qui n’ont pas reçu de formation sur les approches de santé des populations, ou des évaluateurs des demandes de subventions dans des créneaux de la santé des communautés noires qui ne possèdent pas d’expertise en la matière).
- La politique sur les conflits d’intérêts fait en sorte que les demandes de chercheurs dans des créneaux de la santé des communautés noires ne peuvent pas être évaluées par des experts en la matière.
- Il existe des réseaux d’évaluation par les pairs exclusifs, où les mêmes chercheurs universitaires blancs très influents se recommandent souvent entre eux pour siéger à des comités d’évaluation des demandes de subventions.
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Renforcement des capacités et formation
De nombreux participants ont soulevé la question du manque d’investissement soutenu des IRSC dans le renforcement des capacités et la formation des étudiants noirs des cycles supérieurs et des chercheurs noirs en début de carrière. Ils ont indiqué que le manque de soutien pour les stagiaires noirs est tributaire de l’incapacité des IRSC à évaluer adéquatement leurs besoins particuliers dans le contexte de la filière universitaire inéquitable qui répartit les possibilités de façon inégale.
Ces participants ont observé que les stagiaires noirs ne sont pas moins aptes, mais qu’ils manquent plutôt d’investissements de la part des IRSC pour réaliser leur potentiel en tant que futurs chercheurs universitaires et professionnels indépendants. À ce sujet, un participant a fait remarquer que les chercheurs noirs sont déjà excellents et a dénoncé le caractère intrinsèquement raciste de l’environnement de financement de la recherche du fait qu’il réduit au renforcement des capacités l’amélioration de la réussite des chercheurs.
Un participant a indiqué que les stagiaires noirs ne sont pas activement recrutés pour participer aux programmes de perfectionnement des compétences des IRSC, y compris le Programme des évaluateurs en formation. Un autre participant a signalé que les IRSC ne font pas suffisamment de sensibilisation ciblée auprès des groupes universitaires noirs aux fins des séances d’information dans les établissements sur la façon de présenter une demande de subvention ou de bourse fructueuse. Quelques participants se sont dits préoccupés par le manque de bourses soutenues par les IRSC pour les étudiants noirs, surtout à des étapes clés de la formation universitaire, comme le début de leurs études supérieures et la transition de postdoctorant à chercheur en début de carrière. Selon ces participants, ces exemples montrent que les IRSC n’ont pas suffisamment reconnu les obstacles qui limitent les possibilités pour les stagiaires noirs d’avoir un accès équitable à l’acquisition de compétences en rédaction de demandes de subventions et en évaluation par les pairs dans le milieu universitaire par rapport aux autres stagiaires.
Ces participants ont souligné d’autres lacunes dans les investissements des IRSC à l’intention des stagiaires noirs, notamment :
- l’absence de financement pour les programmes de mentorat entre formateurs et stagiaires;
- l’absence de séances de formation pour l’acquisition de compétences en rédaction de demandes de subventions;
- l’absence de séances d’information exhaustives sur les processus de demande de subvention.
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Recherche sur la santé des communautés noires
Certains participants ont fait part de leurs frustrations quant au manque de respect perçu à l’égard de l’excellence de la recherche sur la santé des communautés noires aux IRSC et au Canada. Ils ont indiqué que la recherche consacrée à l’étude des déterminants de la santé des communautés noires n’est pas appuyée par les fonds destinés au financement de la recherche. Ils ont insisté sur le fait que la plupart des études dans ce domaine sont menées par des chercheurs noirs dont les travaux sont éclairés par leurs points de vue et perspectives uniques. De plus, ils ont associé l’absence d’interventions, sous forme de politiques et de programmes, visant à améliorer considérablement les résultats en matière de santé des communautés noires au Canada au manque de soutien financier à la recherche de la part des IRSC.
Ces participants ont critiqué le manque d’action rapide des IRSC pour appuyer l’avancement de la recherche sur la santé des communautés noires. Ils ont mentionné se sentir surchargés par des consultations, comme ce dialogue, qui ne mènent pas à des interventions d’ordre structurel en temps opportun pour soutenir de façon durable la recherche sur la santé des communautés noires.
Ces participants ont discuté d’autres préoccupations liées au manque de soutien des IRSC à la recherche sur la santé des communautés noires, notamment :
- l’absence d’une structure officielle pour faire avancer la recherche sur la santé des communautés noires;
- le caractère inadéquat des possibilités de financement qui appuient les méthodes interdisciplinaires ou transdisciplinaires;
- l’insuffisance des possibilités de financement de la recherche interventionnelle en santé;
- le manque de reconnaissance des approches analytiques des études sur les Noirs.
Chercheurs noirs dans le domaine de la santé
Les participants ont également souligné que les chercheurs noirs dans le domaine de la santé produisent des études de grande qualité dans l’ensemble des thèmes des IRSC, mais qu’ils ne reçoivent pas une reconnaissance adéquate et que leurs travaux ne sont pas largement diffusés ou cités. Ils ont expliqué que ces chercheurs se heurtent à de plus grands obstacles à la réussite universitaire que ceux auxquels se butent leurs pairs, car ils réalisent souvent des études sans subvention des IRSC et sans autres ressources. Les participants ont soulevé ces exemples pour illustrer la façon dont les chercheurs noirs dans le domaine de la santé doivent composer avec des obstacles cumulatifs qui commencent par un manque de respect pour la recherche sur la santé des communautés noires au Canada et qui sont aggravés par l’absence d’intervention des IRSC pour faire avancer la recherche dans ce domaine, y compris le manque de soutien financier de la part de l’organisme.
Réflexions des participants au sujet des iniquités externes qui influent sur l’écosystème canadien de la recherche en santé
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Milieux universitaires
Certains participants ont discuté des iniquités structurelles qui influent défavorablement sur les milieux universitaires, les carrières et le bien-être en général des chercheurs universitaires et des stagiaires noirs. Elles comprennent notamment le racisme envers les NoirsNote en bas de page 1, le racisme dans la production de connaissances (p. ex. le racisme épistémiqueNote en bas de page 2), l’effet institutionnel de MatthewNote en bas de page 3, l’exclusion des réseaux universitaires et le manque d’emploi permanent. De nombreux participants ont insisté sur le fait que les universitaires noirs, en particulier les femmes noires, sont surchargés par le travail relatif à l’EDI, communément appelé la « taxe de l’équité ». La taxe de l’équité réduit le temps que les universitaires noirs peuvent consacrer aux demandes de subventions et à la recherche universitaire, ce qui limite leur potentiel de promotion universitaireNote en bas de page 4. À ce sujet, un participant a indiqué qu’il mettait régulièrement en garde les chercheurs noirs en début de carrière « d’éviter de toucher au travail lié à l’EDI pendant leurs trois premières années en tant que chercheurs universitaires » et leur conseillait « de se consacrer à l’établissement de leurs portefeuilles de recherche ».
Quelques participants ont également insisté sur le fait que de nombreux universitaires noirs servent discrètement de mentors informels aux stagiaires noirs et défendent les intérêts de ceux-ci durant leur cheminement dans les milieux universitaires. Un stagiaire a fait remarquer que le maintien de la chasse gardée est une source importante d’iniquité dans le milieu universitaire, expliquant que les stagiaires noirs sont souvent exclus des possibilités qu’offrent les milieux universitaires et de la recherche en raison des structures qui limitent leurs occasions de recevoir du financement, de cosigner des articles de recherche, de mener des travaux sous la supervision de chercheurs très influents, de faire des présentations à des conférences universitaires et d’être exposés aux connaissances tacites.
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Capacité de recherche sur l’équité en santé
Quelques participants ont souligné que le Canada n’offre pas de formation sur les approches de base en matière d’équité en santé, à savoir les méthodes axées sur la santé des populations à l’intersection des sciences sociales et de l’épidémiologie. Plus précisément, les épidémiologistes sociaux ont indiqué que les chercheurs en santé des populations qui ont une formation en statistique sont souvent « des épidémiologistes cliniques, ce qui signifie qu’ils travaillent avec des cohortes de patients et qu’ils n’utilisent pas d’approches de santé des populations permettant de comprendre comment et dans quelle mesure certaines structures influent sur des groupes de la société ». Et à l’inverse, les personnes qui ont un certain parcours leur permettant de comprendre la santé des communautés noires et les déterminants structurels de la santé, dans les domaines des sciences sociales, ne sont pas suffisamment formées en statistique. Par conséquent, les résultats de la recherche sur les iniquités en santé au Canada, en général, et les iniquités raciales en santé, en particulier, sont limités. Ces participants ont signalé qu’une telle limite dans la capacité de recherche est aggravée par l’absence d’une collecte normalisée de données sur la race et l’origine ethnique au Canada, un besoin d’autant plus criant à l’échelle des systèmes de soins de santé provinciaux. Par conséquent, les chercheurs en santé qui aimeraient cerner les iniquités en santé auxquelles sont confrontés les Noirs ou mesurer l’incidence des interventions stratégiques à l’égard de ces iniquités sont confrontés à d’importantes difficultés.
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Iniquités persistantes en santé pour les communautés noires
De nombreux participants ont attiré l’attention sur la persistance des iniquités en santé qui touchent les Noirs au Canada. Ces participants ont conceptualisé les iniquités en santé comme la « répartition injuste et inéquitable des maladies et des problèmes de santé, qui sont en fin de compte déterminés par les systèmes sociaux et politiques ». Ils ont souligné que les préoccupations à ce sujet font l’objet de discussions au sein des communautés noires au Canada depuis des décennies sans qu’on y offre de réponses stratégiques tangibles. De plus, ces communautés tentent de sensibiliser le public aux iniquités en santé qui touchent les Noirs, mais elles ne reçoivent pas l’appui des organismes provinciaux et fédéraux à ce sujet.
En se reportant à la documentation universitaire existante sur les taux de mortalité et de morbidité chez les Noirs, quelques participants ont indiqué que la population noire du Canada présente les taux de mortalité les plus élevés pour diverses maladies et divers problèmes de santé, comparativement aux groupes de la population non noire. Le cancer du sein et le VIH-sida sont notamment des problèmes de santé pour lesquels on observe des taux de mortalité plus élevés chez les Noirs. Un participant a également présenté le racisme envers les Noirs comme une « maladie » qui peut nuire à tous les groupes de la population. De nombreux participants ont signalé qu’il était difficile de suivre les disparités en santé et de relever les iniquités au Canada, car on ne recueille pas systématiquement des données ventilées selon la race et l’origine ethnique.
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Mobilisation des connaissances sur la santé des communautés noires et élaboration de politiques
De nombreux participants ont insisté sur le fait qu’après l’élaboration de la recherche sur la santé des communautés noires, les résultats devraient être appliqués concrètement aux efforts de mobilisation des connaissances et à l’élaboration de politiques. Ils ont observé, avec inquiétude, que même les connaissances existantes sur les résultats de santé des communautés noires ne font pas leur chemin jusque dans les domaines de politique fédéraux et provinciaux, où les interventions d’envergure en matière de santé sont préparées. Ils ont fait remarquer que certains forums stratégiques, y compris les échanges Meilleurs Cerveaux, ne sont pas conçus de façon appropriée pour discuter du racisme envers les Noirs dans les établissements de santé et les milieux politiques canadiens, car les démarches de mobilisation sont souvent prescriptives et ne font pas participer de façon significative les chercheurs noirs et les communautés noires en tant qu’acteurs clés du processus d’élaboration des politiques. De plus, ces participants ont signalé que de nombreux organisateurs de forums stratégiques n’ont pas de connaissances suffisantes pour discuter de façon approfondie de la question du racisme envers les Noirs dans les contextes des soins de santé et du financement de la recherche. Certains participants ont en outre précisé que les chercheurs universitaires ne sont pas directement responsables d’influencer les changements stratégiques, lesquels tendent à exiger une mobilisation politique de nombreux acteurs.
Recommandations des participants pour remédier aux iniquités structurelles qui influent sur le système de financement des IRSC
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Création d’une culture organisationnelle inclusive
Certains participants ont laissé entendre que la culture organisationnelle des IRSC doit faire l’objet d’un changement structurel pour lutter contre le racisme envers les Noirs et devenir plus inclusive. À cette fin, ils ont formulé les recommandations suivantes :
- Les IRSC devraient mettre au point des mécanismes de responsabilisation robustes pour reconnaître le tort que les IRSC ont déjà causé aux chercheurs noirs et aux communautés noires et pour rétablir les relations avec les parties touchées.
- Les IRSC devraient collaborer avec les chercheurs noirs et les communautés noires à l’élaboration de mesures et d’indicateurs de rendement pour lutter contre le racisme envers les Noirs dans la culture de l’organisme.
- Les IRSC devraient faire preuve d’une transparence accrue à l’égard des chercheurs noirs en communiquant régulièrement les progrès réalisés dans la lutte contre le racisme envers les Noirs au sein de leur culture organisationnelle, dans la préparation de leur plan d’action contre le racisme et au-delà.
- Les IRSC devraient analyser si leurs politiques et processus internes sont associés au racisme envers les Noirs et, le cas échéant, de quelle façon exactement.
- Les IRSC devraient se pencher sur leurs pratiques d’embauche et de promotion pour y relever toute discrimination envers les Noirs et y mettre fin.
- Les IRSC devraient recueillir des données démographiques désagrégées afin de cerner les disparités raciales et ethniques, et modifier en conséquence les interventions aux politiques et aux programmes.
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Refonte du processus d’évaluation par les pairs
De nombreux participants ont fait remarquer que le processus d’évaluation par les pairs des IRSC devait être restructuré de manière à ne pas miner l’excellence en recherche des chercheurs noirs. À cet égard, ils ont formulé certaines recommandations :
- Le processus d’évaluation par les pairs devrait amener l’organisme à revoir la façon dont la recherche est évaluée, notamment en appuyant les approches, perspectives, cadres conceptuels et méthodologies transdisciplinaires.
- Les IRSC devraient réformer la politique sur les conflits d’intérêts afin de permettre aux chercheurs spécialisés dans des créneaux de la santé des communautés noires d’être évalués par des experts en la matière.
- Les IRSC devraient recruter des membres de comités d’évaluation par les pairs ayant une expertise dans les méthodes axées sur la santé des populations pour évaluer les demandes pertinentes.
- Les IRSC devraient créer des grilles critériées pour réduire la subjectivité dans l’évaluation des demandes.
- Les IRSC devraient concevoir un module de formation obligatoire sur le racisme et les préjugés raciaux à l’intention des évaluateurs.
- Les IRSC devraient améliorer la représentation des personnes noires au sein des comités d’évaluation par les pairs grâce à des mesures de sensibilisation ciblée auprès des experts en la matière noirs pour en faire des pairs évaluateurs.
- Les IRSC devraient mettre au point une stratégie ciblée pour recruter des stagiaires noirs dans leur programme des évaluateurs en formation.
- Les IRSC devraient cibler le recrutement de patients partenaires noirs pour agir comme membres de comités d’évaluation par les pairs.
- Les IRSC devraient reconnaître le travail d’évaluation des demandes de subventions en rémunérant les évaluateurs.
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Structure officielle soutenant la recherche en santé sur les communautés noires
De nombreux participants ont indiqué qu’une structure officielle est nécessaire si l’on veut faire avancer la recherche sur la santé des communautés noires au Canada. Elle permettrait de faire progresser stratégiquement les travaux sur des sujets liés à la santé des communautés noires, de renforcer la capacité des stagiaires, de coordonner les efforts de défense des intérêts pour influer sur l’élaboration de politiques, et d’encadrer des chercheurs et des professionnels noirs dans le domaine de la santé. Les participants ont proposé d’édifier une telle structure dans le cadre d’une stratégie nationale sur la santé des communautés noires. Elle pourrait servir de plateforme et appuyer le développement soutenu de la recherche sur les questions liées à la santé des communautés noires.
Les participants ont insisté sur le rôle qu’une structure officielle pourrait jouer dans la formation des futures cohortes de chercheurs noirs dans le domaine. Ils ont fourni des exemples de programmes qui pourraient être mis en place à cette fin, comme des occasions de mentorat pour les chercheurs noirs en début de carrière dont les travaux sont axés sur la santé des communautés noires et pour d’autres chercheurs noirs en début de carrière qui désirent recevoir des conseils professionnels de chercheurs noirs plus expérimentés et de professionnels alliés qui pourraient partager des expériences semblables.
Certains participants ont décrit les priorités particulières qu’ils envisageaient pour une telle structure, en mettant l’accent sur la recherche sur la santé des communautés noires, notamment les suivantes :
- Priorités de recherche : les déterminants sociaux et structurels de la santé; la santé des francophones noirs; la santé des personnes queers et transgenres noires; le mieux-être des Noirs; les approches visant la santé dans toutes les politiques; la science de la mise en œuvre des politiques; l’intelligence artificielle, les préjugés et les soins de santé; les méthodes quantitatives pour les populations restreintes.
- Priorités de défense des intérêts et de programmes : la mobilisation des connaissances; l’élaboration de politiques; les interventions pour contrer les iniquités dans le financement de la recherche sur la santé des communautés noires; le renforcement et le rapprochement des capacités de recherche; les possibilités de mentorat entre formateurs et stagiaires; les mécanismes de gouvernance des données sur les Noirs; la normalisation de la collecte de données sur la race et l’origine ethnique.
- Priorités à long terme : l’élaboration d’un plan décennal pour suivre l’utilisation des soins de santé et les résultats pour la santé des populations noires au Canada.
D’autres participants ont décrit des façons d’obtenir l’adhésion stratégique à une structure éventuelle encadrant la recherche sur la santé des communautés noires avec les responsables de l’élaboration des politiques et le milieu de la recherche en santé :
- rédiger une note conceptuelle, rencontrer des parlementaires et présenter un schéma de l’idée lors de conférences;
- mettre à profit des initiatives stratégiques existantes axées sur les communautés noiresNote en bas de page 5, y compris la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies.
Prochaines étapes
Les IRSC en sont à la mise au point du plan d’action contre le racisme, ce qui comprend l’élaboration d’un plan général de mise en œuvre précisant les mesures de lutte contre le racisme définies par l’organisme, leur échéancier, les indicateurs de progrès, les mécanismes de rapport et la procédure de révision des mesures. Les recommandations découlant du dialogue seront intégrées à la version définitive du plan d’action de façon à ce que les IRSC s’attaquent aux effets du racisme envers les Noirs dans leurs activités. Ces recommandations orienteront également la façon dont l’organisme mesure les progrès vers une participation équitable des chercheurs noirs dans son système de financement de la recherche. Les IRSC s’engagent à poursuivre leur collaboration avec les chercheurs noirs et les organismes représentant les communautés noires afin de mettre en œuvre le plan d’action et de concevoir des mesures au-delà de sa portée.
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